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• LE MONDE ECONOMIE | 10.03.03 | 17h12


"Downsizing" ou "rightsizing"... cherchez l'erreur

Il suffit d'ouvrir un dictionnaire d'anglais des affaires pour découvrir le pot aux roses. D'après la nouvelle édition du Harrap's Business anglais/français, downsizing signifie réduire les effectifs et rightsizing dégraisser. Les deux veulent donc dire la même chose. Pourtant le premier s'est transformé en mot fantôme. Quasi disparu des discours des dirigeants américains, des argumentaires des plans sociaux ou des articles de presse américains, il est devenu persona non grata. Trop négatif. Il faut po-si-ti-ver.

Procéder à des licenciements, ce n'est pas réaliser des coupes sombres et abaisser (down) mais ramener à la bonne taille (right) l'entreprise. Socialement plus correct, le rightsizing se retrouve, pour la première fois en 1998 semble-t-il, dans la bouche d'un dirigeant de General Motors pour justifier l'annonce de la réduction à terme de près de 25 % des effectifs du constructeur automobile. Depuis, le vocable est utilisé à toutes les sauces. Jusqu'à l'humour noir. "Rightsizing your resume", proclame ce guide américain de conseil pour une bonne rédaction du curriculum vitae. "Vous cherchez un travail ? Votre entreprise licencie ? Dégraissez votre CV." En France, le terme n'a pas encore fait des ravages. Au top des anglicismes sur le volet des restructurations et de la réorganisation figure encore en bonne place les mots "downsizer" ou "réengénérer".

Marie-Anne Dujarier, chercheur en sociologie à l'université Paris-VII et auteur de l'ouvrage Il faut réduire les affectifs ! (Editions Mots et Cie, 2001), dans lequel elle décrypte avec humour le jargon du management, voit dans la prolifération de ses expressions fumeuses deux fonctions principales. La première permet de ne rien dire, la seconde de cacher des choses que l'on n'oserait pas nommer en français. "Par exemple quand on dit "je check le downsizing", cela n'a pas la même force que d'affirmer : "je vérifie que je vire bien des gens". Ce sont des mots que l'on préfère annoncer en anglais parce que ça permet d'adoucir et de polir le discours, de rendre prononçable une réalité abrupte."

CONSTAT SANS APPEL

Pour opacifier la réalité, il n'est pas toujours nécessaire pourtant de faire appel à des expressions anglo-saxonnes. C'est, en tout cas, ce qu'a pu vérifier Tristan Boyer, chercheur à l'Université catholique de Louvain qui s'est livré à une recherche sur les argumentaires des projets de licenciement. Son constat est sans appel. "Quels que soient les raisons, le secteur, la taille de l'entreprise, le socle de toutes les argumentations établit l'enchaînement suivant : "Le marché a conduit l'entreprise à de mauvais résultats auxquels il convient de réagir par une amélioration de la productivité qui passe par des licenciements douloureux mais indispensables à la survie de l'entreprise."" La décision de licenciement y apparaît comme conditionnée et imposée par des éléments exogènes et en particulier par le marché. Les arguments reposant sur les notions de productivité, de rentabilité ou concernant l'organisation de l'activité de l'entreprise s'y retrouvent systématiquement. 

L'appui sur la notion de bien commun y est aussi toujours présent, souligne Tristan Boyer. "Si on licencie, c'est d'abord pour préserver des emplois et assurer la survie de l'entreprise." A contrario, on ne trouve dans aucun projet de licenciement la justification de la décision qui se fonderait sur les mauvais choix stratégiques des dirigeants. Pas étonnant que, dans de telles conditions, ces derniers passent encore souvent loin des lames du downsizing ou du rightsizing.

Catherine Rollot

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 11.03.03

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